Wisear, l’interface homme-machine la plus universelle : Rencontre avec son cofondateur et CEO, Yacine ACHIAKH

Yacine ACHIAKH, cofondateur et CEO de Wisear, l’interface homme-machine la plus universelle.

Fondé en 2019, Wisear est une DeepTech spécialisée dans la technologie d’interface neurale. La société développe une interface neurale pour les fabricants d’écouteurs et de casque AR/VR qui permet aux utilisateurs de contrôler leurs appareils électroniques par la pensée.

Pour le Journal du Manager, Yacine Achiakh nous raconte l’histoire du rival de Neuralink.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel et entrepreneurial ? Quelles sont les grandes étapes ?

Après mon Master of Science in Management à l’ESSEC, j’ai travaillé pendant 5 ans chez Criteo. Il s’agit d’une entreprise française experte dans le reciblage publicitaire sur internet et une des premières licornes nationales.

Puis, j’ai débuté au bureau de Paris où j’ai rencontré mon futur associé Alain Sirois, lui-même diplômé de l’Imperial College London en neuro-technologie et de CentraleSupélec en ingénierie électrique et informatique. Un profil très complémentaire au mien !

Nous nous sommes envolés aux États-Unis pour aider au développement du bureau de San Francisco. Durant cette période, j’ai occupé divers postes en Product Management. Tandis qu’Alain supervisait le travail de plusieurs équipes de Data Scientists & Chercheurs. Ensemble, nous avons développé un produit basé sur l’intelligence artificielle. Nous l’avons déployé de zéro jusqu’à générer plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires par an.

Après 5 ans, nous n’étions plus vraiment animés par le monde de la publicité digitale. C’est ainsi que l’envie est née de lancer notre propre entreprise, portée par le dynamisme entrepreneurial de la Silicon Valley.

Comment Wisear est-il né ? Quel a été le déclic ?

Ces 5 années passées sur des projets d’IA nous ont fortement inspirés avec Alain. De ce fait, nous avions envie de continuer à travailler sur des technologies de rupture. À San Francisco, nous fréquentions des experts travaillant dans de grandes entreprises et sur des sujets très innovants. À savoir des employés de Neuralink, la société d’Elon Musk travaillant sur des implants cérébraux, avec qui nous jouions au football.

Petit à petit s’est forgée une conviction profonde. Cela fait 30 ans que l’on utilise des objets numériques, qui deviennent de plus en plus mobiles et « wearables ». C’est le cas de nos téléphones, nos montres connectées, vos écouteurs sans fil et demain les lunettes de réalité augmentée. En effet, nous sommes à l’aube d’une nouvelle vague d’appareils digitaux déferlant dans nos vies. Le marché des casques VR et des lunettes AR devrait atteindre 61 milliards de $ pour plus de 105 millions d’unités vendues d’ici 2025.

Si demain ces objets sont de plus en plus mobiles et intégrés dans notre vie quotidienne, comment les contrôler ? On ne peut plus se baser seulement sur notre téléphone comme télécommande ou sur un clavier et une souris. Nous avons besoin de repenser notre façon d’interagir avec ces nouvelles expériences digitales et ces machines. Il faut réinventer nos interfaces homme-machine avec des contrôles qui sont plus simples, rapides et mains libres. Mais surtout des contrôles qui ne sont pas seulement basés sur la voix, car cette dernière n’est pas pertinente dans de nombreuses situations.

De toute évidence, nous avons réalisé qu’il y avait un problème à résoudre. On n’était donc pas obligé d’attendre 50 ans que tout le monde ait un implant au cerveau comme le propose Neuralink. D’autant plus que cette solution invasive ne plaît pas forcément à tout le monde. C’est ainsi qu’est née Wisear il y a trois ans et demi.

Qu’est-ce que Wisear ? Pouvez-vous présenter votre activité en quelques mots, et à qui s’adresse-t-il ?

La mission de Wisear est de démocratiser tout le potentiel des interactions homme-machine et de les rendre accessibles à tous. Pour cela, nous développons un écosystème d’appareils (en commençant par des écouteurs) augmentés par une interface neurale. Cela afin d’offrir à tous les humains les contrôles les plus simples, rapides, privés et inclusifs.

Cette interface peut s’intégrer avec n’importe quelle marque d’écouteurs ou de casques de réalité augmentée ou virtuelle, afin de pouvoir les contrôler sans avoir besoin de nos mains ou de la voix. Nous avons pris le parti d’intégrer cette technologie dans des objets que nous utilisons déjà pour favoriser l’adoption, sans friction, et nous adapter naturellement aux habitudes des utilisateurs. Nous ne souhaitons pas créer un énième appareil dédié à une seule fonction qui ne serait porté que marginalement.

Notre interface neurale capte l’activité électrique de notre visage ou de nos yeux pour y associer des contrôles spécifiques. Mais il est important de démystifier un point : nous ne contrôlons pas les objets par la pensée. Cela n’est pas possible aujourd’hui, et aucun élément de recherche ne montre qu’il sera possible de lire les pensées et de les décoder avant un temps très long. En d’autres termes, cela reste de l’ordre de la science-fiction. Par contre, nous pouvons identifier certains signaux faits volontairement comme certains mouvements légers du visage ou des yeux, et traduisant une intention que nous pouvons associer à des commandes numériques.

Comment fonctionne l’interface neurale mise au point par vos équipes ?

Notre corps émet en permanence de l’activité électrique, notamment liée à nos neurones, comme une grosse pile électrique. Ainsi, quand je décide volontairement de faire certains mouvements ou actions (bouger les yeux, serrer ma mâchoire), je vais émettre un certain type de signaux électriques (appelés EEG, EOG…). Nous pouvons donc associer ces signaux émis volontairement à des contrôles — notre activité neurale devient une télécommande embarquée !

Wisear équipe n’importe quelle marque d’écouteurs ou lunettes de réalité augmentée avec des électrodes placées dans ou autour de l’oreille. Ces électrodes permettent de capter l’ensemble des bio-signaux électriques de notre cerveau. Et nous embarquons un modèle d’Intelligence Artificielle breveté qui fait le tri entre ces différents signaux. Par exemple, il est capable de différencier le signal « je parle » ou « je bois de l’eau » du signal « je serre volontairement ma mâchoire ». Il est possible via nos écouteurs augmentés d’électrodes et du modèle d’IA de détecter ces activités volontaires des yeux, des muscles du visage, du cerveau et de les assigner à une commande sur nos appareils numériques (ouvrir un menu, rejeter un appel, contrôler le volume…).

Nous avons développé deux niveaux de contrôles à ce jour :

  • Des contrôles utilisant l’activité musculaire du visage (par exemple un serrage de mâchoire) comme un double clic ou triple clic.
  • Des contrôles liés à l’activité oculaire (« eye tracking ») que l’on a dévoilés pour la première fois au CES 2023 — le Consumer Electronics Show de Las Vegas, la grande messe des innovations technologiques.

Donc imaginons que demain je porte mes lunettes de réalité augmentée équipées de la technologie Wisear. Je reçois une notification devant mes yeux et je suis capable de l’ouvrir ou de la repousser sans avoir besoin de mes mains ou de ma voix, juste en regardant vers la gauche. Ou d’ouvrir un menu juste d’un mouvement de la mâchoire. C’est imperceptible, très rapide, et accessible pour plus de 99 % des utilisateurs dans le monde. Si toute l’information est devant nos yeux, pourquoi aurais-je besoin de mobiliser mes mains pour appuyer sur un bouton ? Et je n’ai pas toujours envie d’énoncer à voix haute, dans un cadre public, la commande que je souhaite effectuer par le biais d’un assistant vocal. Notre interface neurale permet d’offrir une solution bien plus adaptée et optimisée à ces nouveaux appareils.

Où en êtes-vous dans le développement de ce projet ? Comment comptez-vous financer l’activité de Wisear ?

Comme précisé juste avant, nous avons commencé par l’activité des muscles faciaux. Et ensuite par l’activité oculaire, ce qui nous a permis de développer un prototype robuste et fiable qui a convaincu plusieurs grandes marques de l’industrie pour des tests de prototypages.

Nous avons d’ailleurs reçu un prix « CES Innovation Award 2023 » dans la catégorie « Ecouteurs et Audio Personnel ». Sans oublier notre prix « AccessABILITY Award » par le média Reveiwed qui récompense les innovations les plus avancées permettant de faciliter la vie et les usages digitaux des personnes en situation de handicap. Cela valide déjà la pertinence de cette première étape de développement et la valeur ajoutée offerte par cette première génération de contrôles neuronaux. Aujourd’hui, Wisear compte 13 employés et nous avons déjà levé 1,5 million d’euros en pre-seed auxquels s’ajoutent près de 2 millions en diverses bourses et prêts via les programmes de financement DeepTech de BPI France.

Il y a beaucoup d’opportunités sur le marché et cela concerne les consommateurs dans leur vie quotidienne. Meta aurait déjà vendu 10 à 15 millions d’unités de son casque de réalité virtuelle et mixte Oculus pour réinventer nos divertissements et interactions sociales en ligne. Apple révèlera pour la première fois au monde son casque de réalité mixte (XR) en juin 2023 pour repenser l’utilisation de nos applications au quotidien. Mais cela concerne aussi le domaine industriel dans lequel de plus en plus d’usines équipent leurs équipes opérationnelles avec des lunettes de réalité augmentée (comme celles de Vuzix). Ces lunettes les guident dans leur travail, dans des environnements très bruyants et complexes. C’est un marché qui pèse déjà plus de 13 milliards d’euros. Ces appareils vont donc ouvrir un marché pour les accessoires qui permettent d’enrichir et de faciliter nos interactions avec les mondes virtuels et augmentés.

Saviez-vous que 60 % des propriétaires d’iPhone ont une montre connectée, et 40 % ont des écouteurs sans fil Bluetooth ? De même, demain les propriétaires de casque VR ou de lunettes AR vont aussi s’équiper d’accessoires qui vont étendre et améliorer leur façon d’interagir avec ces machines.

Comment luttez-vous contre des géants tel que Neuralink ? Quels sont vos atouts ?

La technologie de Neuralink nécessite des implants invasifs qui s’intègrent directement dans le cerveau. Toutefois, elle fonctionne aujourd’hui uniquement en laboratoire, dans un environnement contrôlé. De plus, elle n’a pas été testée sur des humains et requiert une intervention chirurgicale. Une chose que le grand public ne serait pas encore prêt à adopter aujourd’hui, comparée aux bénéfices apportés. Notre approche chez Wisear est différente. Pourquoi avoir besoin d’implants quand on peut développer une solution non invasive et l’intégrer dans des objets du quotidien, sans créer de nouvelles habitudes ?

La technologie invasive de Neuralink permet certes d’avoir accès à une information cérébrale plus granulaire. La différence entre nos deux technologies réside dans le niveau de granularité du signal cérébral. Chez Neuralink, il est plus important et permet de localiser plus précisément la zone qui a émis le signal, mais au prix d’un implant dans le cerveau. Pourra-t-on à l’avenir atteindre le même niveau d’information sans invasion ? D’une part, pour les besoins élémentaires que les utilisateurs ont aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’arriver jusque là. D’autre part, nous ignorons encore si une amélioration des matériaux et des composants électroniques associés à de l’IA permettrait d’arriver à des performances équivalentes sans invasion. Cependant, nous travaillons avec acharnement, en collaboration avec des experts mondiaux (ex. : l’institut INRIA en Europe), pour rester à la pointe et avoir les performances les plus abouties possibles.

La seconde différence entre Wisear et les autres startups de NeuroTech, c’est que nous développons un vrai prototype qui marche dans les conditions de la vie réelle. Nous avons testé notre technologie intensément. Que ce soit dans la rue, à la salle de sport, en prenant un vélo ou un avion, dans des environnements professionnels, etc. Nous l’avons testé sur un grand nombre d’utilisateurs pour nous assurer de sa fiabilité. Les contrats de prototypages signés avec des leaders de l’industrie audio ou AR/VR ont également permis de mettre notre modèle à l’épreuve du marché. Cette approche qui va plus loin que des tests en laboratoires nous permet d’avoir l’interface neurale la plus pertinente et efficace du marché. Une interface prête à s’intégrer dans n’importe quel modèle d’écouteurs ou de casque d’AR/VR commercialisé aujourd’hui auprès du grand public.

Ce n’est pas seulement une « jolie théorie ». Cette approche réaliste et pragmatique, en lien à la fois avec les besoins réels des utilisateurs et les exigences du marché, est notre principal atout.

À quelles contraintes législatives et réglementaires avez-vous dû faire face lors de la création de Wisear ?

Lors de la création de Wisear, nous avons dû faire face à plusieurs contraintes législatives et réglementaires pour assurer la conformité et la sécurité de nos produits. Voici les principales contraintes auxquelles nous avons répondu :

  • Conformité au RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) : Nous avons veillé à ce que notre technologie respecte les exigences en matière de protection des données personnelles des utilisateurs. Cela implique une collecte, un traitement, et un stockage des données de manière sécurisée et transparente pour les utilisateurs.
  • Respect des normes liées aux produits matériels : Il était essentiel pour nous de respecter les normes internationales, telles que la certification CE, qui garantissent la qualité, la sécurité et la fiabilité de nos produits. De plus, nous avons dû sélectionner des matériaux biocompatibles et non irritants pour assurer le confort et la sécurité de nos utilisateurs lors de l’utilisation de notre technologie.
  • Suivi des réglementations en matière de neurotechnologie et d’intelligence artificielle : Compte tenu de l’évolution rapide des technologies et de leur impact sur la société, il est crucial de se tenir informé des réglementations émergentes, telles que l’AI Act en Europe. Nous nous efforçons de rester à jour et de nous conformer aux législations en vigueur pour garantir une utilisation éthique et responsable de la neurotechnologie et de l’IA dans nos produits.

En somme, chez Wisear, nous accordons une grande importance à la conformité législative et réglementaire afin de proposer des produits sûrs, fiables et respectueux de la vie privée de nos utilisateurs.

Quelles sont les difficultés éprouvées par les entrepreneurs du marché de l’interface cerveau-ordinateur ? Comment composez-vous avec ces obstacles ?

Nous sommes une entreprise spécialisée en DeepTech. Notre activité comporte donc une importante phase de recherche et développement (R&D). Il est essentiel de prendre le temps de faire mûrir une technologie, afin de passer d’un concept qui fonctionne en théorie dans un laboratoire, à un produit prêt à être utilisé par tous, dans la vie réelle. Pour cela, nous avons besoin de partenaires financiers prêts à investir sur le long terme, sans chercher un retour sur investissement immédiat. Il est crucial qu’ils soient prêts à parier sur des innovations de rupture qui auront un impact significatif sur l’humanité et qui créent des géants comme Meta, Google, Tesla ou SpaceX.

En Europe, cette mentalité d’investissement à long terme est moins répandue qu’aux États-Unis, où les investisseurs sont plus enclins à prendre des risques. En Europe, nous sommes plus susceptibles de nous concentrer sur des produits à succès rapide, qui ne nécessitent pas d’investissements importants dans les premières années. Cette approche a créé des succès tels que PayFit, Spendesk ou Doctolib, mais elle ne mène pas à la disruption technologique. Nous sommes maintenant à un moment charnière, où les plateformes existantes atteignent leur maturité. Pour que l’Europe puisse devenir le leader des futures plateformes, il faut investir dans des entreprises qui consacrent des ressources importantes à la R&D.

À l’échelle mondiale, l’intérêt pour les DeepTech est en hausse, et cela s’accélère également en Europe. La France peut capitaliser sur la supériorité de sa recherche pour percer dans cette filière. Le plan DeepTech, mis en place par BpiFrance, vise à augmenter le nombre de startups issues du secteur de la recherche. Ce programme nous aide considérablement, mais pour aller plus loin, nous devrons renforcer nos liens avec les États-Unis.

Quelles sont vos ambitions pour Wisear ?

Nos priorités pour les années à venir sont de deux ordres désormais. D’abord, offrir davantage de contrôles. Nous avons déjà 6 contrôles possibles via l’activité musculaire faciale ou oculaire. D’ici 2024, nous voulons doubler ce nombre et nous souhaitons également exploiter les contrôles liés à l’activité cérébrale. En particulier celle liée au cortex auditif, la partie du cerveau derrière les oreilles servant à l’interprétation des sons. Nous pouvons donc développer un modèle capable d’analyser ces signaux et de savoir à quels sons nous portons attention. Est-ce que je porte attention à la vidéo et le son dans mes écouteurs, ou à la personne qui vient me parler dans la rue ? Et nous pourrions utiliser cette information pour automatiquement mettre la vidéo en pause ou mettre le microphone en silencieux. Cela permettrait de développer des contrôles encore plus fluides, contextualisés, intuitifs, « passifs » à moitié-terme.

Ensuite, nous souhaitons développer notre propre marque d’écouteurs intelligents augmentés par notre interface neurale, d’ici 2025. Cela servira à démontrer toute la valeur ajoutée de cette technologie. Il faudra donc aller chercher des compétences en design, en hardware, en industrialisation et c’est un projet très excitant.

L’interface tactile a ouvert la voie à la nouvelle génération d’appareils et à l’économie des applications. À l’instar de cette technologie, notre vision est d’ouvrir la prochaine génération d’interface homme-machine à tous dans un avenir très proche. Avec nos écouteurs équipés d’interface neurale et tous les futurs appareils que nous pourrons développer, nous voulons devenir le clavier et la souris des expériences numériques du futur — alimentés par l’AR et la VR. Cette révolution n’aura lieu qu’une fois l’interaction entre l’homme et la machine totalement réinventée. C’est-à-dire : simple, rapide, mains libres, accessible à tous et à tout moment. Et bien sûr, sans les limitations que nous rencontrons déjà avec le texte, le clic et la voix.

Nous souhaitons faire de Wisear un acteur leader dans ce changement sociétal mondial.

Nos remerciements à Yacine ACHIAKH, cofondateur et CEO de Wisear.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one

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