Glowee, la start-up qui produit de la lumière biologique : rencontre avec sa fondatrice, Sandra Rey

Sandra Rey Glowee

Sandra Rey est la fondatrice et CEO de Glowee, une startup proposant une alternative à la lumière électrique avec un système de lumière biologique qui permet de réduire l’impact environnemental de la lumière et d’améliorer le confort en ville.

Pour le Journal du Manager, Sandra a accepté de nous parler de son parcours, de ses ambitions et des enjeux environnementaux de demain.

En préambule, sachez que Glowee a lancé une campagne de crowdfunding jusqu’au vendredi 23 octobre 2020 pour promouvoir son jeu Biolumia, qui permet de découvrir la bioluminescence. Si vous souhaitez participer au projet, c’est par ici : https://fr.ulule.com/biolumia/

Pourquoi avoir décidé de créer une start-up dans la bioluminescence ? Comment cette idée vous est-elle venue ? 

Cette idée est venue quand j’étais étudiante en école de design. J’ai participé à un concours qui s’appelle le Prix ArtScience dont le thème était la biologie et on a été orienté sur la problématique générale de la lumière. Très vite, on a fait deux constats : le premier est qu’aujourd’hui la lumière est un vrai enjeu, à la fois économique, écologique, voire même sanitaire parce que c’est un besoin universel.

Aujourd’hui, on a des systèmes qui sont assez polluants, notamment sur leur production et leur fin de vie, mais aussi des problématiques de pollutions lumineuses qui dérangent la biodiversité. Il y a donc beaucoup de sujets autour de la lumière.

De l’autre côté, on a découvert la bioluminescence à travers des vidéos sur les poissons des abysses. C’est une lumière que tout le monde connait, tout le monde sait que les lucioles existent, cette lumière est en fait de la bioluminescence. À ce moment-là, on s’est dit que si ces poissons étaient capables de produire de la lumière et qu’il existe des technologies permettant de copier et d’imiter ces phénomènes naturels, alors il s’agissait peut-être d’une solution pour régler les problématiques et enjeux liés à la lumière.

Comment avez-vous développé ce projet ? Par quelles étapes êtes-vous passée ? 

Au début, ce fut une question d’opportunités. En gagnant ce concours, on a gagné un petit peu de visibilité dans les médias sur un projet qui était vraiment très conceptuel entre des slides Powerpoint et des photos sur Photoshop. Cette visibilité nous a amené beaucoup d’énergéticiens, de collectivités et de constructeurs, qui nous ont écrit pour nous demander comment cela fonctionnait et si on pouvait travailler ensemble. Tous ces échanges m’ont vraiment convaincue qu’il y avait un marché, une réelle opportunité et un réel besoin. J’ai commencé à rencontrer tous ces gens de manière un peu opportuniste et petit à petit, j’ai eu envie d’en faire un véritable projet d’entreprise.

Je suis passée par une première étape, on m’a offert une paillasse de laboratoire à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) dans le cadre d’un programme d’accompagnement. J’ai pu y recruter un stagiaire en biotechnologie. Ensemble, nous avons commencé à travailler sur le sujet dans le but de faire une première preuve de concept. Globalement, il s’agissait de reproduire le phénomène de bioluminescence dans un laboratoire et de voir comment l’améliorer pour en faire un produit de lumière.

La première étape a été suffisamment concluante pour me donner envie de continuer l’aventure et de créer l’entreprise à l’issue de ce stage, c’était à la fin de l’année 2014. J’ai créé l’entreprise à ce moment-là, en continuant en parallèle d’aller voir beaucoup de prospects potentiels et de comprendre ce qu’ils attendaient de nous, quels étaient leurs besoins. J’ai ainsi commencé à construire petit à petit une offre.

Qui sont vos clients, et que leur proposez-vous ? 

L’ambition du projet a toujours été de mettre la lumière dans la ville. Tout ce qu’on met en place avec Glowee est dans ce but, de faire en sorte qu’on puisse créer du mobilier urbain bioluminescent, de la signalétique et de l’intégrer vraiment au coeur de la ville. On a signé un premier contrat pour un projet de 2 ans avec la ville de Rambouillet, qui sera donc notre première ville pilote. On travaille main dans la main avec eux pour concevoir et expérimenter le premier mobilier urbain bioluminescent. En ce moment, on est dans une phase où on essaye de s’intégrer à l’écosystème des aménageurs, des constructeurs, des collectivités, des conseils départementaux, de toutes les organisations qui pourraient se servir de notre lumière dans leurs projets et, dès à présent, comprendre comment on pourrait s’intégrer pour des projets à raison de 3 à 7 ans. C’est vraiment le gros du travail aujourd’hui chez Glowee.

À coté, on a encore beaucoup de R&D afin d’améliorer nos performances pour être compatible avec un usage en extérieur. Par ailleurs, on a toujours eu une stratégie de vouloir montrer nos produits, les commercialiser, et surtout montrer le niveau de maturité technologique dès qu’on avait quelque chose de concret. On a donc fait beaucoup d’installations éphémères pour l’événementiel, avec derrière une vraie ambition pédagogique pour montrer ce que c’est, pour expliquer comment cela fonctionne et pourquoi c’est si important pour demain.

On a également lancé un projet qui s’appelle la Glowzen Room qui est une salle de relaxation illuminée par la bioluminescence. Elle est dédiée aux hôtels et au milieu du bien-être. C’est un produit qui nous permet d’une part d’être commercialisés, de s’attaquer à un marché qui est très intéressant et qui est en demande de ce type de système, et d’autre part, d’agir comme une sorte de prototype, pour se rendre compte des challenges techniques et opérationnels qu’on va avoir par la suite. Cela nous permet d’avoir déjà des systèmes qui fonctionnent sans nous au quotidien et donc de faire beaucoup de progrès sur la manière dont on va pouvoir les gérer dans le futur.

La première Glowzen Room est installée dans un château qui s’appelle « Chapeau Cornu » entre Lyon et Grenoble. C’est un véritable enjeu pédagogique parce que chaque personne qui passe dans cette salle a conscience que la lumière vivante existe et qu’on peut en faire des choses assez incroyables. 

La lumière vivante reste pour le moment assez inconnue, avez-vous en amont un travail de sensibilisation à faire ?

Tout à fait ! C’est d’ailleurs dans cette optique que nous avons créé l’été dernier un jeu de société pour découvrir la bioluminescence. Le jeu s’appelle Biolumia et l’enjeu est de concrétiser ce travail de pédagogie qu’on fait depuis plusieurs années autour de la bioluminescence, faire connaître un peu ces merveilles technologiques. Ce projet a été lancé sur Ulule en crowdfunding et l’objectif est de voir comment on peut le distribuer.

On est vraiment sur un enjeu pédagogique où l’on fait de la sensibilisation sur la bioluminescence mais aussi sur les océans de manière générale. On reverse notamment une partie des fonds à l’association la Fondation de la Mer. C’est un projet assez global qui porte les valeurs de Glowee. Cette mission pédagogique a pour but de faire en sorte que le jour où nous sommes prêts à déployer notre technologie dans les villes, la bioluminescence soit quelque chose de connue et d’accepter, pas juste un truc un peu bizarre qu’on fait en laboratoire.

Pour comprendre concrètement, qu’allez-vous faire avec la ville de Rambouillet ?

Du mobilier urbain signalétique. L’objectif est ici de signaler un lieu : le centre culturel de la ville.

Comment fonctionne la bioluminescence ? Quels sont ses avantages ? 

La bioluminescence est une réaction chimique qui arrive chez beaucoup d’animaux et qui permet de produire un photon. On utilise cette bioluminescence à l’échelle de bactéries marines qui sont naturellement bioluminescentes. On fait évoluer ces bactéries dans nos laboratoires pour les rendre plus performantes dans leur production de lumière. Ensuite, on leur crée un environnement idéal qui leur permet également de produire une lumière de meilleure qualité, et de manière continue. C’est une sorte de petit aquarium dans lequel viennent se reproduire ces bactéries bioluminescentes.

Concernant les avantages, la bioluminescence est tout d’abord une matière première qui est biosourcée et biodégradable. En résulte un impact environnemental extrêmement faible sur tout le cycle de vie du produit. La LED a beaucoup d’avantages en comparaison avec les ampoules à incandescence vis-à-vis de sa consommation énergétique au moment de son utilisation. En revanche, en ce qui concerne la production et la fin de vie, les LEDs restent extrêmement polluantes, sans compter qu’elles sont fabriquées à 99% très loin de chez nous donc il y a aussi des problématiques de transports qui viennent agrémenter cette pollution. Aujourd’hui, à leur fin de vie, on les collecte mais on ne sait pas les recycler. L’idée avec Glowee est d’utiliser le vivant pour changer le mode de production de cette lumière.

Autre avantage, la qualité de sa lumière est incroyable, c’est une lumière très douce et assez diffuse. Elle permet de travailler sur des phénomènes aussi bien de pollution lumineuse que de pollution visuelle. La pollution visuelle est la perturbation « esthétique », le fait est qu’aujourd’hui les lumières sont extrêmement agressives en pleine ville, notamment avec l’arrivée des LEDs puisqu’elles ont augmenté par quatre l’intensité lumineuse des villes. La pollution lumineuse est ce qui va déranger la biodiversité, et donc la bioluminescence nous offre plein de clés pour travailler sur cette question. Bien sûr, on éradique pas totalement la pollution lumineuse car cela reste une source de lumière, mais on peut travailler de manière très différente grâce à cette technologie.

Le troisième avantage est que cette lumière est liquide ! Elle peut prendre plein de formes différentes, du volume, de la surface. On va donc pouvoir travailler différemment cette lumière en réduisant l’intensité lumineuse mais en gardant le même type d’éclairement. C’est aussi un enjeu avec les villes de repenser la manière dont on les met en lumière, ce qui correspond beaucoup plus aux besoins d’aujourd’hui qu’aux besoins d’hier.

La bioluminescence peut-elle un jour prendre le pas sur les sources de lumière classiques ? 

Sur des usages dans le paysage urbain comme de la mise en valeur, de la visibilité et du signalement, oui sans aucun problème. En revanche, on ne va pas remplacer la lumière de sa cuisine par de la bioluminescence, ce n’est pas l’objectif. Quand on parle de développement durable, on a souvent tendance à essayer de chercher des solutions miracles. On se dit qu’on peut mettre des panneaux solaires partout et que cela va remplacer tous les réseaux électriques alors qu’en fait, c’est faux. Il n’y a pas « une » source d’énergie magique, de nombreuses sources dépendent de contextes différents. Dans certaines situations, un panneau solaire avec un lampadaire et une LED sera plus intéressant, alors que dans certaines autres, la bioluminescence sera un choix plus judicieux.

Nous, notre objectif est d’intégrer partout où on peut la bioluminescence afin de créer un nouveau mix énergétiques mais sans pour autant avoir une vision radicale. On est convaincu qu’il n’y a pas de solution miracle et qu’une pensée radicale ne permet pas de faire de progrès.

Pourquoi miser sur le crowdfunding pour financer votre projet ? Que retenez-vous de ces expériences ? 

Une des choses intéressantes avec le crowdfunding est que cela permet de démocratiser, de sensibiliser lorsqu’on fait une innovation de rupture comme la nôtre. Le crowdfunding permet également de créer un réseau d’ambassadeurs hyper fort qui va porter le projet. Cela nous paraissait intéressant dans cette démarche-là, d’associer les citoyens à, d’une part cette démarche générale de réduction d’impact environnemental et d’autre part, d’en faire des ambassadeurs qui travaillent avec nous, pour véritablement nous aider. Aujourd’hui, on a quasiment 800 personnes qui nous soutiennent et qui peuvent diffuser le message aussi bien que nous.

Lorsqu’on a un projet assez hybride comme celui-ci, c’est assez compliqué de s’identifier à des fonds d’investissement qui ont déjà des idées très précises sur quoi ils souhaitent investir.

La troisième raison était une question de timing. Le crowdfunding a cet avantage qu’en quelques mois, quelques semaines, on est très vite fixé sur la réussite ou non de la levée de fonds. Les process de levées de fonds traditionnelles sont bien plus longs, et peuvent bien plus facilement « se retourner » d’un jour à l’autre. Pour les débuts de notre aventure, le crowdfunding était vraiment une bonne alternative.

Vous figurez dans le classement Forbes « Under 30 », qui recense les entrepreneurs prometteurs de moins de 30 ans. Quelles sont selon vous les qualités clés pour réussir dans l’entrepreneuriat ?  

Je pense que les premières qualités à avoir sont la passion et la conviction personnelle. Il faut garder en tête que l’entrepreneuriat, c’est très très difficile. Entreprendre, ce n’est pas faire un sprint, c’est un marathon, et sans cette passion, sans cette conviction, c’est impossible de tenir dans la durée.

Ensuite, je dirais la résilience. Il faut savoir accepter et rebondir vite parce que sinon, on se laisse très vite déborder.

Et pour finir, il faut savoir demander de l’aide. Dans mon cas, lorsque j’ai créé ma boite, je n’avais pas toutes les compétences qu’il fallait. Étant donné que je finissais mes études et que je n’avais jamais travaillé, j’avais peu de compétences et surtout dans peu de domaines différents. Une de mes forces est de ne pas avoir peur de montrer ma vulnérabilité auprès de mon réseau, de mes clients ou des mes équipes. Lorsqu’on montre qu’on est vulnérable, les gens vous aident.

On est plus fort ensemble ! 

Vous dites que c’est très difficile d’entreprendre, pouvez-vous développer ce propos ?

Tout d’abord, c’est beaucoup de responsabilités, surtout quand on commence à avoir une équipe. On a notamment la responsabilité de l’emploi des gens, ce qui est un poids conséquent sur les épaules. L’entrepreneuriat, c’est aussi une succession de problèmes… ou plutôt de challenges. Il faut avoir les reins solides et l’envie de voir ces difficultés comme un challenge et non pas comme un problème.

Quelles erreurs sont à éviter lorsque l’on crée son entreprise ? 

La première erreur est de ne pas parler de son projet par peur qu’on vous le vole, et finalement devenir paranoïaque. Pour ma part, je n’ai pas trop eu le choix étant donné que j’ai été propulsée dans les médias sans même avoir commencé. Cela a fait un effet boule de neige mais je me suis rendue compte de tout ce que cela apporte de pouvoir échanger. Cela permet d’avancer plus vite parce qu’on est constamment challengé, donc forcement on réfléchit plus vite, beaucoup mieux et on anticipe beaucoup plus.

La deuxième erreur, à nuancer car cela dépend des situations, je dirais que c’est de vouloir s’associer à tout prix. Je pense qu’il faut savoir se faire confiance. On a tendance à nous dire que ce n’est pas bien d’entreprendre tout seul. Personnellement, je n’ai pas forcément fait le choix d’être seule au départ et je pense avoir fait l’erreur de vouloir à tout prix m’associer. Cela m’a créé beaucoup de complications par la suite. Si je m’étais fait confiance dès le départ, je pense que j’aurais peut-être perdu moins de temps et moins d’énergie.

Ne trouvez-vous pas cela paradoxale de ne pas vouloir s’associer tout en demandant de l’aide dans le développement de son entreprise ?

L’aide ne provient pas obligatoirement d’associés. Cela peut être un mentor, de la famille ou même ses équipes. Je pense qu’il faut juste se faire confiance. Je ne dis pas que c’est moins bien de commencer en étant plusieurs associés avec des compétences différentes, je suis convaincue du contraire, mais quand cela n’arrive pas, il faut être capable de se faire confiance et d’avancer.

Si on doit rencontrer des associés plus tard, alors cela arrivera. Forcer le destin peut mener à des complications qui ne sont pas utiles en début de projet. Il y a déjà beaucoup de sujets à surmonter et donc se rajouter cette contrainte, avec du recul, je trouve que c’est perdre beaucoup d’énergie alors qu’on a besoin de cette énergie pour faire autre chose.

Quelles sont vos ambitions pour Glowee ? 

Mon ambition est que la bioluminescence devienne une véritable alternative à la lumière artificielle, reconnue de tous. Nous avons été capables de transformer la manière dont on fait la lumière aujourd’hui, dont on la consomme, pour pouvoir y intégrer cette nouvelle technologie. Evidemment, on souhaite la voir dans le plus d’endroits possibles.

La deuxième chose serait d’avoir réussi à faire de Glowee une entreprise qui inspire d’autres projets sur cette même thématique de la bioéconomie et de l’utilisation du vivant, pour faire des choses incroyables avec un impact environnemental réduit.

Je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire avec les technologies qu’a développé la nature, pour nous, depuis 3,8 milliards d’années, et j’aimerais que Glowee soit capable d’ouvrir la voie pour d’autres entreprises, sur d’autres thématiques.

Nos remerciements à Sandra Rey, fondatrice et CEO de Glowee.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one.

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