Savr, la start-up qui lutte contre le gaspillage alimentaire : rencontre avec son co-fondateur, Louis de La Barthe

Co-fondée en 2019, Savr est la première solution logistique et technologique de lutte contre le gaspillage alimentaire basée sur le don. 

Pour le Journal du Manager, son co-fondateur Louis de La Barthe, a accepté de revenir sur l’univers de son entreprise, les enjeux écologiques de la lutte contre le gaspillage et les ambitions de Savr à moyen terme.

Qu’est ce que Savr ? A qui vous adressez-vous et à quel besoin répondez-vous ?

Savr est une solution de lutte contre le gaspillage alimentaire à destination des acteurs de la restauration collective et des traiteurs.

On agit sur deux champs d’action :

D’abord, une solution palliative, dans laquelle on va aider le restaurateur à faire don de ses excédents à des associations caritatives.

Pour cela, on lui met à disposition une application dans laquelle il peut saisir ses invendus à la fin de son service ou de son événement. Ensuite, on va récupérer ses excédents avec notre camion frigorifique. En fonction de ce qui est donné, notre algorithme va choisir l’association la plus proche et la plus à même d’absorber le don. Puis, notre chauffeur est envoyé vers l’association sélectionnée. Grâce à son don, le restaurateur recevra une réduction d’impôt. À la fin du mois, Savr lui fournit un rapport d’impact, qu’il va pouvoir diffuser en interne auprès de ses collaborateurs ou auprès de ses clients et ainsi améliorer son image.

Ensuite, une solution préventive.

L’idée est d’utiliser les données de gaspillage qu’on a pu collecter à travers les dons faits par le restaurateur. Ces données sont traitées et agrégées dans un dashboard. Grâce à nous, le restaurateur peut monitorer son gaspillage et ainsi améliorer ses décisions d’achat et de production. Le but est de réduire son gaspillage à la source.

Ensuite Savr fait des suggestions aux restaurateurs en leur proposant, par exemple, de préparer un plat plutôt qu’un autre. On doit prendre en compte plusieurs facteurs tels que la météo. S’il fait beau, il y a plus de chances que les collaborateurs aillent manger une salade en extérieur plutôt que de déjeuner au restaurant d’entreprise. Il peut aussi y avoir aspect social, il faut par exemple se demander s’il n’y a pas une manifestation dans le quartier. S’adapter au calendrier a également son importance, on sait qu’il y a moins de collaborateurs présents dans les bureaux pendant les confinements ou les vacances, alors on va suggérer aux restaurateurs de moins produire pendant cette période.

Comment vous est venue l’idée de créer Savr ?

J’ai rencontré un de mes associés à l’ESSEC. On est parti avec l’école en voyage d’étude à San Francisco, où on a rencontré le ministre de l’écologie californien. Il nous a fait part de toutes les initiatives qui étaient prises sur la question de l’écologie et du gaspillage à San Francisco – et plus généralement dans la Silicon Valley. On nous a parlé d’une boite qui s’appelle Copia et qu’on a tout simplement copié.

Nous nous trouvions totalement légitimes dans cette démarche de copier Copia car avant de faire l’ESSEC, j’avais fait l’école hôtelière, j’ai donc une expertise du métier. Mon associé, Eloi Bevillard, est ingénieur logiciel, il s’est donc naturellement occupé de la partie technologique. Plus tard, Alexandre Dardel, notre troisième associé, nous a rejoint. Ancien Head of Sales d’une belle start-up, il nous a été d’une grande aide.

Pouvez-vous nous donner des chiffres sur le gaspillage alimentaire en France ? Que pourrait-on mettre en place pour lutter efficacement contre le gaspillage ? 

Chaque année en France, les restaurateurs jettent 2,7 milliards de repas à la poubelle. Lorsque je dis restaurateurs, c’est au sens large. Je parle de :

  • la restauration événementielle (traiteurs…)
  • la restauration collective (cantines scolaires, d’entreprises, d’hôpitaux, de pénitenciers…)
  • la restauration commerciale

À côté de ce premier chiffre, paradoxalement, en France c’est une personne sur cinq qui se trouve en insécurité alimentaire, c’est-à-dire qu’elle ignore ce qu’elle aura dans son assiette lors de son prochain repas. Lorsqu’on met ces deux chiffres en perspective, cela rend notre présence sur le marché assez légitime.

Il existe des solutions afin de limiter le gaspillage. On sait que les plus gros gaspilleurs sont les particuliers. Je pense qu’il faut un changement dans les mentalités des consommateurs, notamment chez les plus jeunes générations. Selon moi, elles ont perdu une certaine forme de bon sens, en tout cas celui que nos grands-parents avaient sur la question du gaspillage. Probablement parce qu’ils ont connu une forme de manque à certains moments de leur vie, et qu’il était donc hors de question de jeter, il fallait bricoler avec les restes alimentaires. C’est quelque chose que je constate moins chez la jeune génération, qui a plus tendance à jeter.

Comment selon vous peut-on sensibiliser la population au gaspillage alimentaire ? Quelle est la place de Savr dans ce travail de sensibilisation ?

C’est dès le plus jeune âge qu’il faut sensibiliser les enfants au gaspillage alimentaire. À la maison et à l’école. Petit, j’ai souvenir de soirées passées tout seul dans la cuisine à devoir terminer mon assiette d’épinards alors que tout le monde avait quitté la table.

Dans le cas de Savr, on n’apprend pas aux cuisinier à faire leur métier, ils sont déjà sensibilisés à cette cause. On leur apporte juste la prise de recul dont ils peuvent parfois manquer compte tenu de l’intensité de leur métier.

Vous gérez au quotidien d’importants flux de produits alimentaires. Comment gérez-vous la logistiqueet la sécurité sanitaire ? 

Pour la logistique, on fait appel à des sous-traitants qu’on a sélectionné, tous agréés pour le transport de produits alimentaires. On fait uniquement du transport en température controlée. On part du principe que la logistique est un métier à part entière, assez complexe et qu’il y a des gens qui le font très bien. En France, lorsqu’on parle de sous-traitance, on assimile tout de suite cela à une non-maitrise de compétences, comme la gestion de la chaine du froid parce qu’on ne s’en occupe pas directement. Les personnes qui s’en occupent sont des experts et le font beaucoup mieux que nous, tout simplement.

Avez-vous des concurrents ? Comment vous démarquez-vous ? 

Il existe une concurrence, réelle mais qui est saine selon moi. On a divisé le marché en deux catégories. Il y a les entreprises qui luttent contre le gaspillage alimentaire via la revente des excédents, je parle ici de, ToGoodToGo, Karma, et maintenant un petit peu Phenix. Tu as également celles qui luttent contre le gaspillage alimentaire en faisant du don : c’est ce que fait Phenix, et nous-mêmes.

C’est comme cela qu’on a segmenté le marché, sur la partie du gaspillage alimentaire encore consommable. Il existe également un « bout de chaîne » avec les produits qui partent en méthanisation et ceux donnés aux animaux.

Quelles sont vos cibles ?

Nos deux marchés initiaux sont les traiteurs et la restauration collective. Avec la Covid-19 le marché des traiteurs et de l’événementiel étant complètement éteint, on se concentre sur la restauration collective.

Quel est votre business model ? 

Nous proposons deux offres :

  • Collecte unitaire
  • Abonnement mensuel : accès au logiciel + X collectes/semaine

Quels canaux utilisez-vous pour développer votre activité ? 

On est présent sur les réseaux sociaux et on a également des commerciaux.

Savr s’adresse à un marché BtoB, donc cela nous oblige d’avoir une équipe commerciale. Nous sommes deux en charge du business development, l’un de mes co-fondateurs et moi-même.

Concernant notre présence digitale, il est vrai qu’on traite un sujet très actuel et éminemment « à la mode ». Cela nécessite une forte activité sur les réseaux sociaux tels que Linkedin, Instagram et Facebook.

Quel bilan tirez-vous au bout d’un an et demi d’activité ? Quelles leçons pouvez-vous retenir ? 

On sent qu’il y a une lame de fond, une prise de conscience générale, écologique et sociale. Cela est accru par le Covid-19 et par l’apparition de nouveaux précaires. Les élections municipales et la déferlante verte le prouvent.

Evidemment, cette prise de conscience sert notre business. En revanche, il est clair que la Covid-19 a ralentit notre activité. Toutefois, on est plus que jamais optimiste, les choses évoluent. En effet, avec cette crise, on a gagné deux ans. Bien que de mon point de vue, voir un lien entre la Covid-19 et l’écologie n’est pas très logique, cela a favorisé la prise de conscience. De plus, on a le sentiment que notre métier n’a jamais été aussi utile car, comme je l’ai dit plus tôt, il y a de plus en plus de précaires et de gens à nourrir. On ressent une tension importante auprès des associations.

À titre personnel, lorsqu’on a commencé à réfléchir au projet, il y a deux ans, on était loin de s’imaginer qu’on en serait là aujourd’hui. On pensait qu’on ferait plus de chiffre d’affaires, mais pour autant j’ai adoré et j’adore encore cette période d’exploration où, avec la Covid, on était obligé de se réinventer. C’est quelque chose de passionnant.

Comment vous êtes-vous débrouillés pendant cette période, avec les traiteurs que ne travaillaient plus ?

Garder le contact avec nos clients était pour nous essentiel. Pendant le confinement, on a appelé régulièrement tous nos clients pour les interroger afin de mieux comprendre leurs besoins et essayer d’y répondre. En tout cas, comprendre quelles seraient les évolutions du secteur événementiel.

On s’est notamment financé avec Wilco, l’accélérateur Tech de la région Île-de-France, qui propose des prêts à taux zéro, ce qui a été pour nous très encourageant pendant cette période difficile.

Ensuite, on a du se réinventer. Nécessité fait loi, on a du mettre entre parenthèses les traiteurs pour aller voir les acteurs de la restauration collective. Ce fut beaucoup plus rapide que prévu. On s’était dit qu’on allait aiguiser nos couteaux sur le marché des traiteurs et qu’on irait ensuite voir la restauration collective, sauf qu’on n’a pas eu le choix car il fallait évidemment générer du chiffre d’affaires. Il se trouve que cela fonctionne très bien, donc finalement, ce fut une chance que cela nous tombe dessus.

Quelles qualités sont selon vous nécessaires pour entreprendre ? 

Il faut avoir confiance en soi, ne rien lâcher, mais il faut savoir mettre son égo de côté un maximum, sinon on va dans le mur. Aussi, il faut accepter de se tromper, accepter de voir le plan qu’on a en tête ne pas se dérouler comme prévu. Il est important d’être suffisamment agile pour louvoyer, surtout en période de crise.

Quelles sont vos ambitions pour Savr pour les 12 prochains mois ? 

L’ambition pour Savr est assez claire : se développer sur le marché de la restauration collective, au maximum ! Aller chercher de l’argent en faisant une première levée de fonds, dès qu’on aura validé ce product-market fit sur la restauration collective. Une fois que la branche événementielle traiteur sera repartie, tirer partie de ce segment, qui est notre segment historique.

Mettre du kérosène dans la fusée et monter en puissance ! Cela veut dire, densifier le maillage sur la région Ile-de-France et surtout, être présent dans d’autres grandes villes de France.

Nos remerciements à Louis de La Barthe, co-fondateur et CEO de Savr.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one.

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