Quels enjeux pour les marketplaces en 2020 ? Rencontre avec Philippe Corrot, CEO de Mirakl

Le modèle des marketplaces ne cesse de se développer en France.

Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce modèle économique, nous avons invité sur le Journal du Manager Philippe Corrot, co-fondateur et CEO de Mirakl. Cette start-up du Next40 est devenue le premier éditeur de solutions de marketplace au monde.

Bonjour Philippe Corrot, et merci d’avoir accepté notre invitation. Comment le e-commerce a-t-il évolué ces 10 dernières années ? Quels ont été les changements majeurs ? Les consommateurs ont-ils modifié leurs habitudes d’achat ?

Ces dix dernières années sont marquées par l’émergence des marketplaces.

Si l’on prend l’exemple d’Amazon, la part de marché de sa marketplace a considérablement augmenté. On est passé de quelques pourcents à presque 65 %. Aujourd’hui, près de 2 produits sur 3 vendus sur Amazon sont vendus par le biais de sa marketplace.

C’est un phénomène que l’on observe plus globalement dans tous les secteurs du retail, partout dans le monde.

Outre Amazon, on peut aussi évoquer Alibaba ou Rakuten, qui sont des modèles 100 % marketplace. Côté services, on voit cela avec Airbnb et Uber. Dans la restauration, on peut citer Uber Eats et Deliveroo.

Les marketplaces ne sont plus des modèles d’achat-vente comme il se fait depuis toujours, mais plutôt des modèles d’intermédiation. Ces plateformes ont aujourd’hui pris le pas et la suprématie sur le retail classique.

On a vu aussi ces derniers mois, contexte sanitaire oblige, la part de marché des achats en ligne passer de 16 % à 27 %. On peut supposer que cela va redescendre quelque peu, mais à présent les habitudes sont prises. Cela a encore renforcé la part des marketplaces. Grâce à leur souplesse et leur agilité, les entreprises dotées d’une marketplace ont pu vendre mieux et s’adapter aux besoins des consommateurs.

Une illustration : en France, la marketplace d’Amazon a pris le relai lorsque les entrepôts ont dû fermer. Nous avons nous-mêmes lancé la marketplace stopcovid19.fr, afin d’aider les hôpitaux à se fournir en masques de protection et gels hydro-alcoolique.

Ces exemples montrent bien la force et l’agilité des marketplaces.

Quelle place la France occupe-t-elle dans ce business model, face aux autres pays ? Est-elle en avance, en retard ? Ce business model est-il aussi répandu que dans les autres pays ?

La France est plutôt en avance sur ce sujet. Mirakl est français et est aujourd’hui leader mondial de la marketplace.

La France est l’un des pays où Amazon a les parts de marché les plus faibles. Cela prouve que le modèle marketplace permet aux retailers historiques de résister à Amazon. Plus il y a de marketplaces, plus Amazon a du mal à endiguer ses concurrents.

La France a définitivement su tirer son épingle du jeu sur ces modèles. Elle a une bonne capacité d’innovation et accueille de nombreuses entreprises de la Tech dont nous faisons partie.

Amazon occupe une place omniprésente dans le milieu des marketplaces. Comment les e-commerçants peuvent-ils lutter pour se faire une place sur le marché ?

Si l’on veut lutter contre des acteurs prédominants, il faut utiliser ce qui fait leur force et leur puissance : leur marketplace. C’est un modèle extrêmement puissant et simple à mettre en œuvre. Quand on respecte les bonnes pratiques, cela apporte de la croissance forte et de la rentabilité… Ce qui intéresse toutes les entreprises !

La question est simple et la réponse l’est aussi. C’est simplement une question de mise en œuvre. C’est pour cela que Mirakl existe ! Nous facilitons la mise en œuvre des projets marketplace en apportant une solution technique et une expertise métier.

Peut-on se passer de marketplace ? Certains secteurs d’activité sont-ils incompatibles avec ce modèle économique ?

Tout acteur doit avoir un rôle à jouer sur ces modèles de plateforme ou de marketplace, que ce soit en tant que vendeur, opérateur de marketplace ou client. Aujourd’hui, si un acteur n’a aucun de ces trois rôles, il est voué à disparaître dans les semestres ou années qui viennent.

On doit forcément prendre position. Même lorsque l’on est une marque forte avec une distribution très verticalisée – typiquement, le luxe, la question se pose aussi. On ne parle alors pas forcément de marketplace, mais de plateforme. Dans tous les cas, ce sont des entreprises qui ont aussi besoin de créer des systèmes autour d’eux, qui ont des licenciés par exemple. Ils ont besoin de faire travailler ces licenciés sur leurs propres plateformes. Le sujet de la marketplace ou de la plateforme se pose alors pour eux.

Il y a aussi un enjeu de la data. Lorsque l’on est capable d’apporter plus de produits, des meilleurs prix, ou encore une meilleure qualité de service, on va pouvoir collecter plus de data sur les clients, et acquérir plus de clients à un coût moindre.

En définitive, personne ne peut se permettre d’être en dehors de ces sujets-là.

Peut-on créer soi-même une plateforme de place de marché ? Pourquoi recourir à une solution telle que Mirakl ?

La marketplace n’a que des bénéfices, mais à condition que cela soit bien mis en œuvre.  On peut bien sûr créer soi-même une plateforme de place de marché. En informatique, tout est possible ! Mais cela coûte très cher et prend du temps.

L’intérêt d’utiliser une technologie comme celle de Mirakl, c’est tout d’abord de bénéficier de notre expertise technique. Elle permet de lancer une plateforme sans encombre. En plus de cela, nos clients bénéficient également de notre expertise métier.

Beaucoup d’entreprises échouent à mettre en place une plateforme de marketplace autonome. L’infrastructure doit sans cesse être revue. Créer une marketplace est plus complexe qu’on pourrait le penser !

La marketplace est un métier de volume. Lorsque l’on commence à avoir des centaines de marchands qui vendent des dizaines de milliers de produits sur notre plateforme, il faut que cette infrastructure tienne.

Les outils comme les nôtres sont capables de gérer cette scalabilité. Par exemple, en 2019, le jour du Black Friday, nous avons réalisé 100 millions de chiffre d’affaires en une seule journée, avec zéro latence, zéro downtime. Nous sommes l’une des seules plateformes au monde à pouvoir réaliser cette performance.

Comment avez-vous été impactés par la crise du Covid-19 ?

Il y a d’abord eu une période d’inquiétude au début du confinement. Puis, assez rapidement, nos équipes se sont mises en ordre de bataille. Nous avons lancé, avec le Ministère de l’Économie et des Finances, la plateforme StopCovid19 pour aider les hôpitaux et les EPHAD à se fournir en matière de protection.

Cela nous a permis de contribuer gratuitement au soutien des personnels soignants en amenant plusieurs dizaines de millions de masques et plusieurs millions de gels hydroalcooliques dans les EPHAD. C’est un point très positif.

Sur un point de vue plus business, nous avons presque assisté à un doublement du chiffre par rapport à ce que nous avions anticipé sur cette période-là. Les marketplaces se sont révélées fidèles à leur promesse : être très agiles et très efficaces. Elles ont alors pu supporter une croissance des ventes très forte.

Autre conséquence : certains prospects, avec qui nous étions en discussion depuis quelques années, ont accéléré leur projet quand ils ont vu le bénéfice que pouvait leur apporter ce modèle. Cela a donc été pour nous des excellents mois en termes de chiffre d’affaires et de volume d’affaires généré.

StopCovid19 a dû représenter beaucoup de travail. Pouvez-vous nous en parler ?

Grâce à notre technologie, nous avons pu mettre en place cette plateforme en 48 heures !

Nous avons reçu un appel du Ministère de l’Économie et des Finances et de la DGE. Ils nous ont demandé si le modèle de la marketplace pouvait contrer la pénurie, ce à quoi nous avons répondu par l’affirmative. Tout est allé très vite ensuite. La première commande a été passée trois jours après avoir reçu cet appel.

Cela a permis au CHU de Grenoble, qui recevait ses premiers patients du Covid-19 et qui était en pénurie de gel hydro-alcoolique, de recevoir 1 000 litres de gel en provenance d’Arkema.

Aujourd’hui, nous sommes en moyenne entre 300 à 400 commandes par jour. Le projet StopCovid19 mobilise une trentaine de personnes en interne.

Quelle vision avez-vous du e-commerce dans les prochaines décennies ?

La décennie prochaine marquera la modification permanente des business models de « pipeline » (acheter le produit le moins cher possible, pour le revendre ensuite au meilleur prix) qui vont évoluer vers des business model de plateforme (créer un écosystème de clients et de vendeurs, et organiser les transactions entre eux).

Comme on le voit déjà pour Amazon, la plupart des retailers feront la majorité de leurs ventes sur leur marketplace.

On parle souvent de l’importance du mobile. Mais il faut bien comprendre qu’une commande passée sur mobile, c’est très différent d’une commande passée sur marketplace. Lancer une application mobile, ce n’est pas faire de la transformation digitale. La commande que le client va prendre sur son téléphone portable aurait très bien pu être faite sur ordinateur ou en magasin.

Au contraire, la marketplace, c’est quelque chose de nouveau. C’est un produit différent, que le commerçant ne proposait jusqu’alors pas. On a vraiment affaire à du business model incrémental et de la vraie transformation digitale.

La marketplace est-elle un modèle économique durable ? Quelle semble être la tendance à moyen et long terme : progression, déclin, renouveau… ?

Le modèle économique de la marketplace repose sur de la commission sur vente ou de la commission à la transaction.

Cela n’évoluera pas, car c’est le principe même de la marketplace. Ce sont des règles saines qui, si elles sont respectées, resteront comme telles.

Nos remerciements à Philippe Corrot, co-fondateur et CEO de Mirakl.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one.

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