Agriodor, le parfum qui débarrasse les cultures des insectes ravageurs : Rencontre avec sa fondatrice, Ené Leppik

Ené Leppik, CTO et cofondatrice (à gauche) et Camille Delpoux, COO et cofondatrice (à droite) d’Agriodor, le parfum qui débarrasse des insectes ravageurs.

Fondée en 2019, Agriodor est une startup qui propose une solution de biocontrôle avec des parfums répulsifs pour les insectes ravageurs. En effet, l’entreprise développe des parfums à base de kairomones et d’allomones qui attirent et repoussent les insectes ravageurs. Une innovation qui s’inspire des relations naturelles entre les plantes et les insectes, afin de protéger les cultures.

Pour le Journal du Manager, Ené Leppik a accepté de se confier sur l’histoire du parfum qui protège les cultures contre les insectes ravageurs.

Quelle est l’histoire d’Agriodor ? Comment ce projet est-il né ?  

Agriodor est une belle aventure née en 2019, fruit d’un partenariat entre une chercheuse estonienne et un entrepreneur français chevronné. Le projet a germé à l’INRAE de Versailles, où nous avons mené cinq années de recherche. Notre but était de mettre au point des attractifs destinés à piéger les insectes nuisibles (tels que la bruche de la féverole) et ainsi protéger cette culture contre les ravages causés par ces insectes. Par la suite, nous avons déposé deux demandes de brevets pour cette innovation. Et nous avons monté un projet entrepreneurial, qui a mûri chez Incuballiance, sur le plateau de Saclay. Ainsi, Agriodor est née du transfert de connaissances de la recherche publique au monde agricole.

Pouvez-vous présenter l’activité d’Agriodor ? Comment a-t-elle évolué depuis sa création ?  

Agriodor est une entreprise de biotechnologie spécialisée dans le développement d’outils de biocontrôle à base de substances allélochimiques. Notre mission est de protéger, à base d’outils de biocontrôle, les cultures contre les attaques des insectes ravageurs. Ainsi, nous visons à remplacer les insecticides. Pour ce faire, nous identifions les molécules odorantes présentes dans les plantes ayant un effet attractif ou répulsif sur les insectes. Ensuite, nous diffusons ces odeurs pour avoir l’effet attendu (attractif ou répulsif).

Au début de notre aventure, nous nous sommes concentrés sur les attractifs (kairomones). Depuis deux ans, nous travaillons également sur les répulsifs (allomones) pour repousser les insectes nuisibles. Grâce à notre expertise en biotechnologie, nous avons conçu des solutions innovantes pour lutter contre ces ravageurs. Cela afin de préserver les cultures de manière naturelle et efficace.

Comment avez-vous conçu ce produit ? Qui a pu vous accompagner dans cette aventure ?  

Les produits d’Agriodor résultent d’une recherche pointue sur les interactions entre les plantes et les insectes. Pour élaborer une odeur qui influe sur le comportement des insectes et l’utiliser efficacement, il nous faut trois ans de R&D avec une équipe pluridisciplinaire composée essentiellement de PhD. Nos experts en entomologie, comportement insecte, chimie analytique, neurophysiologie et agronomie travaillent de concert pour atteindre cet objectif.

En somme, nous sommes passionnés par notre travail et sommes convaincus que la recherche est la clé. Celle qui nous permettra de mettre au point des solutions innovantes et efficaces pour protéger les cultures. Nous sommes fiers de notre expertise et de la qualité de nos produits, qui sont le fruit d’un travail minutieux et rigoureux.

Quels sont les avantages d’Agriodor pour vos clients ? Comment expliquez-vous le succès d’Agriodor ?  

L’innovation d’Agriodor réside dans notre capacité à s’inspirer de la nature et à imiter les odeurs des plantes que les insectes utilisent dans leur vie. Depuis plus de 400 millions d’années, les insectes et les plantes ont co-évolué et développé une relation étroite. Les insectes ont besoin des odeurs des plantes pour se nourrir et se reproduire.

Nous avons étudié ces odeurs naturelles et les avons utilisées pour développer des produits qui protègent les cultures contre les insectes ravageurs. Nos produits ont une grande spécificité d’action, sans impact sur les insectes bénéfiques et sans impact sur l’environnement. Ils sont préventifs et durables, et peuvent être adaptés à toutes les cultures.

D’ailleurs, nous sommes convaincus que notre approche innovante, en utilisant les odeurs naturelles des plantes pour protéger les cultures, est la solution d’avenir pour l’agriculture durable. Nous sommes fiers de proposer des produits respectueux de l’environnement pour aider les agriculteurs à préserver leurs cultures de manière naturelle.

Et n’oublions pas que nous défrichons une nouvelle science en ayant été les premiers à créer un labo ultramoderne pour travailler cette technologie

En quoi Agriodor se démarque-t-elle des autres agritech présentes sur le marché ?   

Agriodor se démarque grâce à notre spécialisation dans le développement de produits de biocontrôle pour les grandes cultures. La plupart des solutions de biocontrôle sont destinées aux vergers, aux vignes ou au maraîchage. Il existe donc très peu de solutions pour protéger les grandes cultures contre les insectes ravageurs.

Avez-vous prévu d’étendre votre activité à l’international dans les années à venir ?  

Chez Agriodor, nous sommes résolus à étendre notre activité à l’international dès que nous aurons prouvé notre expertise en France et en Europe. Nous avons déjà identifié l’Amérique du Sud comme un marché à fort potentiel de croissance pour le biocontrôle, et nous sommes impatients d’y proposer nos solutions innovantes. Nous pensons travailler ce territoire dès 2024.

Notre ambition est de devenir un acteur majeur du marché mondial de la biocontrôle des cultures. Nous sommes convaincus que nos produits de biocontrôle respectueux de l’environnement et adaptés aux grandes cultures trouveront un écho positif auprès des agriculteurs du monde entier.

À quelles contraintes législatives et réglementaires avez-vous dû faire face lors de la création d’Agriodor ?  

Agriodor a dû faire face à plusieurs contraintes législatives et réglementaires lors de sa création. Pour commercialiser notre solution de piégeage de masse avec des kairomones, nous avons dû constituer un dossier d’Autorisation de Mise sur le Marché.

Hélas, même si les kairomones sont des imitations des odeurs naturelles des plantes, elles sont traitées comme des produits phytosanitaires classiques aux yeux de la loi et de la réglementation. Cette réglementation française et européenne sur la mise sur le marché des produits phytosanitaires est très complexe, lourde, consommatrice de temps et coûteuse.

Heureusement, en 2020, la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation) a sorti une note autorisant l’utilisation des kairomones dans le cadre de piégeage de masse sans AMM.

Que vous apporte votre labellisation French Tech Seed ? Comment percevez-vous l’écosystème start-up en France ?  

La labellisation French Tech Seed nous apporte une visibilité accrue auprès des investisseurs et des partenaires potentiels, ainsi qu’un accompagnement dans notre développement. Nous sommes fiers de faire partie de l’écosystème start-up en France, qui est très dynamique et en constante évolution.

Bien que la plupart des start-up soient concentrées à Paris et en Île-de-France, nous avons choisi de nous installer à Rennes, dans la pépinière des sociétés biotechnologiques (Biopôle). La ville de Rennes a investi beaucoup de moyens pour rendre la ville et la région attractives aux entreprises. De plus, nous bénéficions d’espaces de laboratoires adaptés à nos besoins ainsi que d’une connexion TGV avec Paris.

Enfin, nous sommes de plus une entreprise remarquable sur le plan de la diversité. Notre équipe est complètement internationale (Estonie, Tunisie, Moldavie, Grèce, Côte d’Ivoire, France) et composée d’une majorité de femmes.

Quelle est votre feuille de route pour les prochains mois ? Sur quoi misez-vous pour votre développement ?  

Agriodor a une feuille de route bien définie pour les prochains mois. Les essais agricoles sur la betterave sucrière seront la priorité. Pendant tout l’automne et l’hiver, l’équipe a travaillé dur pour optimiser les odeurs et les formulations. Tout cela sera testé au champ ce printemps.

Depuis l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes contre les pucerons verts, la filière de la betterave est en danger, car il n’y a plus de solution efficace. Pour remédier à cette situation, Agriodor mise sur une solution basée sur des odeurs répulsives. Toute l’équipe travaille activement pour mettre au point cette solution afin de diminuer la population des pucerons verts dans la parcelle.

Quelles leçons retenez-vous de cette aventure entrepreneuriale ? Auriez-vous des conseils à donner aux jeunes entrepreneurs ?

En matière d’entrepreneuriat, j’ai appris qu’il était essentiel de travailler en équipe. De toute évidence, une personne seule ne peut pas tout faire. Chez Agriodor, nous avons un trio de direction complémentaire : Alain Thibault (CEO) est notre visionnaire, Camille Delpoux (COO) garde toujours les pieds sur terre et je suis chanceuse de pouvoir me concentrer sur la recherche et le développement.

Mon conseil pour les jeunes entrepreneurs est de ne pas abandonner, d’apprendre de ses erreurs, de prendre ses responsabilités et de continuer à avancer. L’entrepreneuriat est telles des montagnes russes constantes, avec des hauts et des bas quotidiens.

Je pense que deux citations peuvent également être utiles pour les entrepreneurs. La première est du poème « If » de Kipling : « If you can meet with Triumph and Disaster and treat those two impostors just the same ». La seconde est de Hunter S. Thompson : « Life is not a journey to the grave with the intention of arriving safely in a well-preserved body, but rather to skid in broadside, thoroughly used up, totally worn out, and loudly proclaiming, “Wow what a ride”! »

Nos remerciements à Ené Leppik, cofondatrice & CTO d’Agriodor.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one

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